Comment le MS-96 a participé au projet de développement d'un Jumeau Numérique pour la Mobilité Autonome

Dans les couloirs du laboratoire CRIStAL (Centre de Recherche en Informatique, Signal et Automatique de Lille) de l'Université de Lille, des équipes de chercheurs s’affairent à créer des environnements de simulation capables de reproduire avec précision le monde réel, ouvrant la voie à des véhicules autonomes plus sûrs et plus intelligents. Nous avons interrogé deux chercheurs, Zaynab EL MAWAS, post-doctorante, et Gérald DHERBOMEZ, Ingénieur de Recherche CNRS et responsable technique de la Plateforme de recherche Robotique et Transports Intelligents de Lille (PRETIL), sur les contours de ce projet et l’intégration du scanner laser mobile MS-96 de Viametris dans le cadre de leurs travaux de recherche. Avant d’entrer dans le détail des travaux menés par Zaynab EL MAWAS et Gérald DHERBOMEZ, il est essentiel de replacer ce projet dans son cadre plus large.

Quel est le rôle de la plateforme PRETIL dans la recherche sur la mobilité auto-nome, et en quoi ses travaux s’articulent-ils avec ceux du laboratoire CRIStAL ?

Maan EL BADAOUI EL NAJJAR, Responsable scientifique de la plateforme PRETIL : Au sein de la plateforme PRETIL, nous développons des outils et des méthodes innovants pour relever les défis de la mobilité autonome et de la robotique. En collaboration avec les équipes du laboratoire CRIStAL et nos partenaires académiques et industriels, nous explorons des approches avancées, telles que les jumeaux numériques, afin de tester, valider et certifier la perception et la prise de décision des véhicules autonomes. L’intégration du scanner laser mobile MS-96 de Viametris illustre notre volonté de créer des environnements simulés réalistes, assurant une transition efficace entre simulation et déploiement en conditions réelles. Zaynab et Gérald, deux de mes précieux collaborateurs, partagent avec vous les enjeux, défis et perspectives de ces travaux qui façonnent l’avenir de la mobilité intelligente.

Zaynab, pouvez-vous présenter ce projet de recherche autour du développement d’un jumeau numérique pour la mobilité autonome ?

Zaynab EL MAWAS : l’équipe ToSyMA se concentre sur la tolérance aux fautes des systèmes de mobilité autonome, en développant depuis dix ans des algorithmes de diagnostic et des solutions pour renforcer la sûreté et la précision des systèmes de localisation. Le projet vise à créer un jumeau numérique, une simulation intégrant capteurs (lidars, caméras, GPS, centrales inertielles) et véhicules autonomes. Initialement, avec la plateforme PRETIL, nous disposions d’une Renault Zoé robotisée. Aujourd’hui, nous avons élargi le parc à trois véhicules afin de simuler des scénarios multi-véhicules, tester des défauts et conditions environnementales variées avant déploiement réel.

Nous avons utilisé le MS-96 de Viametris pour acquérir des nuages de points géolocalisés dans la cité scientifique de l’Université de Lille. Ces données, agrégées, permettent de construire un environnement simulé réaliste pour valider nos systèmes dans des conditions diversifiées. Tout ce travail s’inscrit dans le cadre de la plateforme PRETIL.

Quelle a été la mission de la plateforme PRETIL dans ce projet?

Gérald Dherbomez : PRETIL est une plateforme qui regroupe des ressources techniques, humaines et scientifiques autour de la robotique et du transport. Sa mission principale est de venir en soutien des thèses et soutenir les équipes de recherche du laboratoire CRIStAL, auquel la plateforme est rattachée, et qui rassemble environ 500 personnes dont plus de 200 doctorants. Dans le cadre de ce projet, la compétence de PRETIL se concentre sur la partie jumeau numérique et interaction avec les vrais véhicules. On offre un service d’ingénierie aux chercheurs de l’équipe ToSyMA, à laquelle appartient Zaynab. Pour ce projet, on a aussi beaucoup travaillé avec la plateforme PIRVI, qui elle est la plateforme en réalité virtuelle/augmentée, interaction humains machines développée par des équipes qui ont notamment des compétences en photogrammétrie, en génération d’environnement 3D, etc.

Comment financez-vous ces recherches ?

Gérald Dherbomez : On a des budgets qui proviennent directement de nos institutions de tutelle, à savoir l’Université de Lille, le CNRS, l’INRIA et l’École centrale de Lille. Ensuite, on a des financements plus conséquents qui ont pour origine des contrats-plans inter-régions comme le CPER RITMEA qui nous a permis de financer l’achat d’équipements, comme le MS-96 de Viametris. Nous avons également mis en place plusieurs mécanismes de financement via des projets collaboratifs avec des industriels sur des projets de type ANR, Horizon Europe ou Interreg.

Le mécanisme de financement le plus classique avec les industriels se fait souvent via des thèses CIFRE (Conventions industrielles de formation par la recherche). L’objectif est double pour le doctorant : développer des solutions répondant à des problématiques industrielles tout en générant de nouvelles connaissances scientifiques. Dans ce cadre, il partage son temps entre le laboratoire et l’entreprise pour développer des solutions répondant à des problématiques spécifiques.

Quels sont les défis techniques que vous avez rencontrés lors de l'utilisation du MS-96 et de son logiciel de traitement ?

Zaynab EL MAWAS : Nous avons travaillé avec Nicolas BREMARD et Bryan EMERY, deux ingénieurs de la plateforme PIRVI de réalité virtuelle, dirigés par Samuel DEGRANDE. Nicolas est spécialiste de photogrammétrie et a conçu les fichiers de maillage (mesh files) à partir du nuage du points, tandis que Bryan s’est concentré sur l’intégration de la réalité virtuelle, notamment le casque VR et le modèle 3D dans le simulateur CARLA à base de Unreal Engine.

Les défis techniques étaient nombreux. Premièrement, la sélection correcte des coordonnées et références. Nous avons collaboré avec Viametris pour comprendre les étapes nécessaires : comment choisir les bons systèmes de coordonnées ou affecter et intégrer des références de mesures GNSS externes dans le logiciel de traitement VIAMETRIS, PPIMMS. Un autre défi était le choix du format de sortie des fichiers : LAZ, XYZ, ou autres, pour assurer une compatibilité avec les outils de photogrammétrie et la création des modèles 3D. L’extraction correcte des images a également été essentielle pour produire des maillages précis et cohérents.

Nicolas utilise-t-il son propre algorithme pour produire les maillages à partir des nuages de points et des images, ou bien d’autres logiciels ?

Zaynab EL MAWAS : Nicolas utilise des outils existants. Il intègre les nuages de points, les images, ainsi que leurs positions et orientations extraites en CSV à partir de PPIMMS. Ces données sont ensuite utilisées comme entrée dans un logiciel tierce pour générer des maillages.

À quelle stade est le projet en ce début 2025 ?

Gérald Dherbomez : Ce projet est en constante évolution. Actuellement, nous travaillons à étendre les zones de numérisation et à améliorer nos processus. Notre recherche s’inscrit dans des collaborations nationales et internationales, notamment dans le cadre du projet Equipex+ TIRREX, qui regroupe une vingtaine de laboratoires français autour des infrastructures robotiques. Ce projet, financé jusqu’en 2028-2029, se concentre sur le développement d’une infrastructure ouverte, un axe dont nous sommes co-responsables.

En parallèle, nous cherchons à automatiser davantage le processus de génération des environnements 3D. Aujourd’hui, après avoir produit un nuage de points et un modèle 3D, nous devons encore effectuer de nombreuses étapes manuelles pour ajouter des couches de sémantique et d’intelligence, comme la logique des voies de circulation. Idéalement, nous aimerions que ces étapes deviennent totalement automatisées, mais cela reste un défi technique majeur.

Et quelles sont les perspectives ?

Gérald Dherbomez : Au niveau des perspectives, nous travaillons sur plusieurs axes, notamment avec l’Equipex+ TIRREX. Par exemple, pour les drones, il est nécessaire de numériser des environnements complexes comme des forêts, y compris la canopée. Le GIPSA Lab à Grenoble est impliqué dans ce volet, et nous envisageons d’utiliser le MS-96 pour ces numérisations.

Un autre laboratoire à Marseille (ISM) développe un tunnel de vol pour tester des drones dans des cavités et souhaite obtenir un modèle 3D précis de cet environnement. Les discussions sur le format 3D attendu sont encore en cours, mais cela montre la diversité des besoins en jumeaux numériques. Par ailleurs, il existe un programme PEPR Robotique, récemment validé, qui couvre des thématiques comme les flottes de véhicules aéroterrestres, la localisation, la vision par ordinateur, et les jumeaux numériques. Ce projet s’inscrit dans le cadre de « France 2030 » et représente un investissement important pour développer ces technologies.

Vos travaux peuvent-ils ouvrir la voie à une future certification des véhicules auto-nomes en France par exemple ?

Gérald Dherbomez : La certification des véhicules autonomes est un défi technologique complexe. Contrairement aux véhicules traditionnels, où l’on procède par des séquences de roulage et des tests mécaniques classiques, l’autonomie nécessite une validation logicielle beaucoup plus élaborée. Une étude nous a montré qu’il faudrait plus de 100 millions de kilomètres de tests dans différentes conditions. Imaginez : avec une flotte de 100 véhicules roulant 24h/24, 7j/7, nous serions à environ 12 ans de phase de roulage pour couvrir tous les scénarios possibles. C’est tout simplement impossible à mettre en œuvre. C’est là que le concept de jumeau numérique prend tout son sens avec quelques questions qui restent en suspens : peut-on créer des environnements de simulation suffisamment précis pour certifier un véhicule autonome ? Quel sera le niveau de précision des cartes 3D exigé par les organismes de certification pour garantir la fiabilité et la mise sur le marché de véhicules autonomes en France ? 10 cm ? 20 cm ? Je n’ai pas la réponse.

Dans un modèle de jumeau numérique, y a-t-il une notion de temporalité ? Peut-on accélérer le temps pour simuler, par exemple, 12 ans en quelques semaines ?

Gérald Dherbomez et Zaynab EL MAWAS : Oui, c’est possible. Cela permet de simuler rapidement et de tester des scénarios dans des délais beaucoup plus courts. Par exemple, pour un algorithme embarqué dans un véhicule autonome, on peut porter le code sur un data center avec des calculateurs plus puissants, comme des GPU, et ainsi accélérer le traitement.

Cependant, il faut faire attention à ne pas introduire de biais dans les résultats, car le temps réel est précisément daté. Il y a donc des précautions à prendre dans les calculs. Mais effectivement, on peut accélérer ou paralléliser les simulations. Par exemple, si on imagine 100 véhicules dans une simulation sur 12 ans, on peut réduire considérablement sa durée en augmentant le nombre de calculateurs ou en utilisant des approches massivement parallèles.

Quels critères utilisez-vous pour valider que vos simulations fonctionnent correctement ?

Gérald Dherbomez : Nous définissons une précision cible dans le cahier des charges et comparons les résultats des capteurs virtuels à cette précision. Par exemple, nous avons testé plusieurs versions de cartes 3D : certaines incluaient uniquement les routes, d’autres ajoutaient des façades de bâtiments avec des niveaux de précision variables.

Pour valider nos simulations, nous effectuons des acquisitions avec de vrais véhicules et comparons les données avec celles générées par les capteurs virtuels. Nous ajustons ensuite la précision des maillages ou des capteurs simulés pour répondre aux exigences.

Quels sont vos critères de succès en matière de précision ?

Zaynab EL MAWAS : Nous travaillons principalement sur la sécurité, donc le critère clé est que le véhicule simulé reste dans sa voie, sans dépasser une marge d’erreur de 30 cm, pour éviter les accidents. Une borne supérieure est fixée, et la précision nécessaire dépend de cet objectif.

Quelle est la fiabilité des simulations ?

Gérald Dherbomez et Zaynab EL MAWAS : Cela dépend de la charge sur le calculateur. Lorsque plusieurs véhicules sont simulés en parallèle, la charge augmente et peut entraîner des pertes de commande. La performance est donc directement liée à la puissance de la carte graphique utilisée et au nombre de véhicules simulés simultanément.

Avec une carte graphique performante ou une infrastructure cloud puissante, il est possible de gérer plusieurs véhicules en parallèle sans compromettre la fiabilité. Cela ouvre des perspectives intéressantes, notamment pour des architectures cloud permettant à d’autres utilisateurs de tester leurs modèles dans des environnements simulés.

Ce qu’on cherche surtout, c’est à utiliser l’environnement 3D comme un outil. L’objectif n’est pas de valider cet environnement pour qu’il soit précis au millimètre près, mais plutôt d’avoir un outil sur lequel on peut intervenir. Dans l’environnement réel du véhicule, on ne maîtrise pas les satellites GPS, la météo, ou d’autres éléments imprévisibles comme la pluie. En simulation, en revanche, on contrôle tout. Cela nous permet de recréer des conditions spécifiques, suffisamment réalistes, pour tester les phénomènes liés aux capteurs, observer comment se comporte l’algorithme de conduite autonome, et vérifier s’il détecte les défauts, effectue un bon diagnostic, puis se reconfigure pour garantir la mission en toute sécurité.

Y a-t-il un risque que tout fonctionne dans le simulateur, mais pas dans le monde réel ?

Gérald Dherbomez : On nous demande souvent comment valider un simulateur. C’est complexe, car ce sont deux mondes différents. La correspondance entre les deux passe par des tests croisés : on prend un mouvement dans le monde réel, on le recrée en simulation, et on compare. Mais c’est loin d’être simple. Et en simulation, on peut inclure des éléments comme des changements de constellation satellite ou des conditions météo variables, ce qui est impossible dans le réel.

L’équipe ayant contribué à ce travail :

  • Maan EL BADAOUI EL NAJJAR : Responsable scientifique de la plateforme (PRETIL)
  • Gérald DHERBOMEZ : Responsable technique de la plateforme (PRETIL)
  • Samuel DEGRANDE : Responsable technique de la plateforme (PIRVI)
  • Gauthier DESMET : Ingénieur d’Etudes (PRETIL)
  • Maxime DUQUESNE : Ingénieur de Recherche (PRETIL)
  • Zaynab EL MAWAS : Post Doctorante (PRETIL)
  • Nicolas BREMARD : Ingénieur de Recherche (PIRVI)
  • Bryan EMERY : Ingénieur de Recherche (PIRVI)

Vous envisagez d’intégrer notre technologie dans vos projets de recherche ?